"La naturopathie est l'incarnation d'une sagesse millénaire"
Entretien avec Anne Lagière (Partie 2/2)
Pour lire la première partie de cet entretien :
Anne Lagière est naturopathe ainsi que docteur ès lettres classiques de l’université Paris-Sorbonne. Passionnée de nature autant que de civilisation gréco-latine, elle s’est d’abord consacrée à la recherche universitaire en littérature antique, avant de se tourner vers la naturopathie. Formée à l’Institut Supérieur de Naturopathie (ISUPNAT) et membre de l’OMNES, elle a créé le cabinet NaturoKos où elle exerce. En 2022, elle a écrit “Aux sources de la naturopathie - La sagesse antique au service de notre santé1” aux éditions Néosanté-Résurgences. Cet ouvrage réunit sa double expertise en lettres classiques et en naturopathie.
Entretien entre Eric Le Gal et Anne Lagière que vous pouvez retrouver sur notre chaine YouTube2.
Eric Le Gal : Il y a un des aspects majeurs dont tu parles : c’est celui de la force vitale et du vitalisme. Donc j’aimerais que tu nous expliques ce principe vitaliste qui est devenu, je trouve, étranger aux démarches de santé, à la médecine actuelle. J’ai l’impression que l’on a de plus en plus une médecine allopathique particulièrement mortifère, qui parle aujourd'hui d’accompagnement à la fin de vie, d’euthanasie, d’avortement, de changement de sexe, etc. Quelles sont les grandes lignes de ce principe vitaliste ? Y a-t-il des parallèles avec l’élan vital cher à Nietzsche ?
Anne Lagière : La force vitale est le fondement même de la naturopathie. S’il n’y a pas de force vitale, il n’y a pas de naturopathie. C’est véritablement le fondement de la naturopathie et je pense que c’est notre grand lien avec l’Antiquité. On fait souvent remonter la force vitale à Hippocrate et elle serait désignée par le terme de pneuma. Mais, comme je l’explique dans mon livre, cela ne me paraît pas correct et cela me paraît forcer le texte puisque le pneuma chez Hippocrate est clairement un souffle de l’air identique au vent. Cela ne peut donc pas correspondre à la force vitale au sens de la naturopathie. La force vitale au sens de la naturopathie est une force intelligente, rationnelle qui habite et régit notre organisme et qui nous maintient en vie en permettant, à chaque instant, notre autoguérison. C’est une force qui n’est pas matérielle, qui n’est pas mesurable par la science expérimentale et c’est une force qui peut seulement être conçue par la raison. C’est donc un principe immanent à l’organisme qui ne correspond pas au pneuma chez Hippocrate.
Quand j’ai écrit mon livre, j’ai cherché d’où pouvait venir la force vitale et elle vient quand même de l’Antiquité, même si elle ne vient pas d’Hippocrate. En fait, elle vient d’une philosophie de l’Antiquité qui est le stoïcisme et c’est en découvrant l’origine de la force vitale que j’ai pris conscience de l’importance du stoïcisme dans la naturopathie. D’ailleurs, après après avoir écrit mon livre, j’ai découvert un livre de de Paul Carton, le médecin du XIXème siècle qui avait écrit le livre “Le naturisme dans Sénèque” - Sénèque, grand philosophe stoïcien du Ier siècle. Ce n’est pas étonnant parce qu’il y a une très forte empreinte de la vision stoïcienne du monde dans la naturopathie.
Mais revenons à la force vitale. Cette force vitale vient de la médecine pneumatique qui est une synthèse entre la philosophie stoïcienne et la médecine hippocratique. Il s’agit d’une médecine qui accorde une importance considérable au pneuma qui assure la connaissance du cosmos et par lequel tout est organisé, c’est-à-dire les animaux, les végétaux, les minéraux, etc. Ce pneuma va propager l’intelligence divine, ce que les stoïciens appellent le logos. Le logos, c’est le principe universel, rationnel et même providentiel immanent à la matière qui assure la cohérence du Tout. Le logos est identique au destin, identique à Dieu, identique à la nature et et le pneuma va être le véhicule du logos.
On a donc un principe immanent et rationnel qui assure intelligemment l’organisation de toute chose et qui assure l’harmonie du Tout. On voit bien le lien avec notre force vitale en naturopathie et on voit que la force vitale en naturopathie vient de là. Cette force vitale va être une sorte de résurgence du monde animiste en pleine modernité matérialiste et ça, c’est très intéressant, parce que, justement, comme la force vitale est ce principe intelligent qui est a l’œuvre à l’intérieur du corps, c’est un principe qui va permettre la guérison. C’est le principe d’autoguérison. C’est pour cela que la naturopathie est une voie vers la guérison et pas vers la rémission comme l’allopathie. La force vitale permet d’intégrer une dimension spirituelle puisque c’est un retour à l’immanence. La force vitale, c’est le divin, non pas à l’extérieur de nous, mais à l’intérieur de nous. C’est aussi un moyen de se replacer dans la perspective du tout, parce que la force vitale c’est ce qui parcourt notre organisme et la nature entière. Le vitalisme est porteur de tout.
Tu parlais du vitalisme chez Nietzsche. Je pense qu’il y a des convergences parce que Nietzsche s’inspire beaucoup de la vision stoïcienne du monde. Nietzsche reprend la cohérence du monde des stoïciens, reprend en partie l’éthique stoïcienne d’assentiment aux événements qui nous arrivent, l’Amor Fati, dire “oui” aux événements qui nous arrivent. Mais il y a quand même une grosse différence qui est que Nietzsche va enlever la rationalité de la vision stoïcienne du monde. Chez Nietzsche, il y a le destin, la continuité énergétique mais il n’y a pas la rationalité, alors que la naturopathie va reprendre la rationalité. Donc, je pense que la naturopathie est vraiment plus proche du stoïcisme parce qu’elle garde la rationalité qui lui permet d’avoir sa démarche causaliste. Elle va pouvoir chercher les enchaînements de causes et d’effets, chercher le “pourquoi” des désordres etc.
ELG : J’aimerais que tu développes un peu plus cet aspect de la rationalité dans la naturopathie, parce que si on regarde et si on écoute les médias, si on lit ce qui est écrit quand on fait une recherche sur Google ou sur Wikipédia, on a l’impression que la naturopathie est quelque chose qui n’est absolument pas rationnel, qui est antiscientifique, qui serait une “pseudoscience” et donc illogique, irrationnel… Est-ce que tu pourrais nous expliquer davantage cette importance de la rationalité dans la naturopathie ?
AL : En fait, il y a un problème aujourd’hui qui est que la seule science qui domine est la science expérimentale et qu’il n’y aurait rien d’autre, alors qu’il y a les mathématiques, la logique. La naturopathie est issue de la médecine hippocratique qui est une médecine logique, c’est-à-dire que c’est une médecine qui est fondée sur le raisonnement, sur le “pourquoi”. Quand il y a un déséquilibre, on se demande pourquoi et on remonte à la cause et à la cause de la cause et ça c’est la grande différence entre une médecine logique et une médecine empirique qui va juste se fonder sur l’observation des symptômes et sur les expériences du passé.
Aristote faisait une différence entre les hommes de l’expérience qui ne savent pas pourquoi une chose est et savent uniquement qu’elle est et les hommes qui recherchent le “pourquoi”. La naturopathie est un “art du pourquoi” et c’est vraiment un héritage de la médecine hippocratique. La naturopathie est une médecine qui est éminemment logique parce que la médecine hippocratique était aussi une médecine éminemment logique. C’est pour ça qu’on dit qu’Hippocrate est un représentant du rationalisme grec.
ELG : Quand on parle d’Hippocrate on entend “serment d’Hippocrate” et quand on entend “serment d’Hippocrate”, on pense à l’éthique médicale et l’éthique est extrêmement importante dans la philosophie gréco-latine notamment dans le stoïcisme où elle est un des trois piliers. Mais cette éthique, pour avoir lu Pierre Hadot, n’est pas purement morale en réalité. Est-ce que tu pourrais nous expliquer un peu de quoi il s’agit et quelle est la démarche éthique des Grecs anciens ?
AL : L'‘thique est un peu comme le bonheur. C’est fait pour ici et maintenant dans le monde antique. C’est une discipline de l'action quotidienne et la finalité de cette éthique c’est de se mettre en harmonie avec l’univers et par là même, parvenir au bonheur. Tout est donc lié et on pourrait presque dire que l’éthique est une sorte d’hygiène de vie et que la santé découle de l’éthique parce que la santé est un état d’harmonie et l’éthique est une manière de se mettre en harmonie. Donc cette éthique constitue une discipline des désirs, une thérapeutique des passions. L’éthique dépend des différentes écoles de philosophie mais dans le stoïcisme, l’éthique, c’est vivre en accord avec la nature donc c’est connaître les lois de la nature, la physique, pour vivre en accord avec la nature, concrètement, dans son action quotidienne.
C’est la conscience que notre action a des répercussions sur le Tout puisqu’on est une partie du Tout. D’où l'importance de l’éthique fondée sur la logique, sur la raison, sur la connaissance de la nature.
C’est aussi quelque chose que la naturopathie va reprendre à travers son hygiène de vie. La naturopathie retrouve l’éthique de l’Antiquité, c’est-à-dire suivre chaque jour les lois naturelles. On le fait pour sa santé mais en fait tous les plans sont liés, donc, évidemment, que ce n’est pas que la santé qui est en jeu. C’est à la fois notre santé, la santé des autres, la santé de notre environnement…
ELG : Tu as écrit récemment un post sur les réseaux sociaux et qui avait raisonné intensément chez beaucoup d’entre nous :
“Naturopathes, ne nous excusons pas d’être naturopathes. Dans cette époque tempétueuse nous ne sommes pas des distributeurs de compléments alimentaires ou de recettes de cuisine. Nous sommes les dépositaires d’une philosophie : le vitalisme. Nous ne sommes pas des professionnels du mieux-être, nous sommes les continuateurs des philosophes qui ont tâché de tracer une voix de bonheur, d’autonomie, de liberté.
La naturopathie n’est pas une discipline accessoire, elle est essentielle. Elle est l’incarnation, ici et maintenant, d’une sagesse millénaire.
Elle n’est pas homologuée par le matérialisme et le scientisme à la mode mais elle est forte car elle est l’héritière d’Hippocrate et de Galien. Elle porte en elle Pythagore, Platon, Sénèque, Hildegarde de Bingen, Paracelse, Rousseau, Sand, Carton, Marchesseau et tant d’autres.
Elle est guidée par la science logique, la seule science à même de rendre compte et de l’âme et du corps. Elle est une médecine formidable capable d’appréhender le corps spirituel, le corps mental, le corps émotionnel sans lesquels nous ne sommes que des machines de la pensée mécaniste.
Comme disait madame de Staël : “Il n’y a que deux classes d'hommes distincts sur la terre : celle qui sent l’enthousiasme et celle qui le méprise.” Nous sommes du côté de l’enthousiasme.”
Alors je tenais à te remercier pour ce message parce qu’il était vraiment bienvenu dans une période, comme tu dis, tempétueuse où on entend pis que pendre sur la naturopathie. Mais, la question que je me posais, à l’aune de ce que tu as écrit : quelle est ton opinion sur le mouvement actuel de santé intégrative où on essaie en fait de trouver un moyen d’allier l’allopathie, la naturopathie et d’autres approches dites complémentaires ?
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